La confiance et le syndrome X Fragile par Dr A.Curie et O.Mascaro

Les fondements cognitifs de la confiance dans le syndrome de l’X Fragile par Aurore Curie (MD, PhD) et Olivier Mascaro (Chargé de Recherche, CNRS).

Le projet porté par l’équipe du Dr Aurore Curie et d’Olivier Mascaro, soutenu par l’association Fragile X France, cherche à mieux comprendre comment l’ajustement de la confiance opère dans le syndrome de l’X Fragile. Le projet se base sur des découvertes récentes qui montrent que l’ajustement de la confiance implique des mécanismes complexes qui se développent très tôt chez l’enfant typique. En effet, c’est sur ces résultats que l’équipe s’appuie pour mieux comprendre l’ajustement de la confiance dans le syndrome de l’X Fragile.

Pourquoi étudier la confiance dans le syndrome de l’X Fragile ?

La confiance joue un rôle central dans la vie sociale humaine. Elle permet de nouer des relations, de collaborer, de partager des ressources et des informations. Pour autant, faire confiance à trop de monde, de manière indiscriminée, peut être problématique. En outre, une trop grande réticence à accorder sa confiance peut être un frein au développement de relations sociales harmonieuses. La confiance doit donc être régulée.

Chez les enfants au développement atypique

La capacité à faire confiance de manière sélective se développe tôt, avant l’entrée à l’école (Mascaro et al., 2014). Trois types de mécanismes différents contribuent à l’ajustement de la confiance inter-personnelle :

  • L’évaluation affective, qui dirige les nourrissons ou enfants avant l’âge de 3 ans vers des personnes bienveillantes plutôt que malveillantes.
  • L’attribution de trait, permettant de sélectionner à qui faire confiance, consiste à se former une représentation des dispositions de la personne comme la bienveillance et la compétence (encore appelés traits) et à l’utiliser pour prédire les comportements futurs de cette personne.
  • L’évaluation épistémique des informateurs. Elle permet d’ajuster sa confiance dans ce que les autres nous communiquent. Ce mécanisme suppose de mettre en lien l’évaluation de la fiabilité des individus qui communiquent (en fonction de leur bienveillance et de leur compétence), et celle de la fiabilité des informations communiquées.

Les capacités d’ajustement de la confiance se développent tôt chez l’enfant neurotypique, avec une prise en compte des caractéristiques affectives et des traits des individus dès l’âge de 3 ans. Par la suite, au cours des années de maternelle, les enfants neurotypiques acquièrent graduellement la capacité à se méfier d’individus qui se présentent comme bienveillants alors qu’ils ne le sont pas réellement, comme dans le cas du mensonge.

Les travaux menés chez l’enfant neurotypique révèlent que l’ajustement de la confiance repose sur l’interaction de plusieurs mécanismes complexes. Le projet vise à mieux comprendre comment ces mécanismes se développent dans le syndrome de l’X Fragile.

Très peu de choses sont connues à l’heure actuelle sur l’ajustement de la confiance dans le syndrome de l’X Fragile

Cependant, les personnes X Fragile présentent un profil neuropsychologique particulier (Curie et al., 2016), avec au premier plan une anxiété sociale, qui peut conduire à une timidité, une difficulté d’être en groupe, voire à un retrait social (Lightbody et al., 2009). Sur le plan comportemental, au premier contact, les individus X Fragile sont souvent embarrassés dans les interactions sociales directes et envahis par leurs émotions, avec un regard fuyant caractéristique, parfois associé à un retrait social ou au contraire une excitation motrice avec des stéréotypies manuelles et des cris (des Portes et al., 2013). L’anxiété envahissante resurgit en cas d’événement imprévu ou de contrariété, sous forme d’accès de colère, de mâchouillement des vêtements, de morsures des mains, ou de séances de soliloquie à haute voix. Tous ces symptômes peuvent être pris à tort pour des signes autistiques, mais dans un environnement sécurisant, la relation duelle est habituellement de grande qualité avec un réel intérêt social et affectif. Malgré tout, 8 à 33 % des enfants X Fragile répondent aux critères de l’autisme (Hagerman 2002). Le syndrome de l’X Fragile est donc caractérisé par une forme d’anxiété sociale souvent importante. Dans ce projet, l’équipe se focalisera sur les bases cognitives de cette anxiété sociale, en étudiant les mécanismes qui gèrent l’ajustement de la confiance.

Objectifs et résultats attendus

Le but de ce projet de recherche est d’étudier de manière systématique les bases cognitives de la confiance dans le syndrome de l’X Fragile, en explorant notamment les trois types de mécanismes qui contribuent à l’ajustement de la confiance inter-personnelle :

– Lévaluation affective,

– Lattribution de trait,

– Lévaluation épistémique des informateurs avec ses différentes composantes (sensibilité au savoir des informateurs, sensibilité à leur exactitude passée, sensibilité au consensus versus l’exactitude, et sensibilité au mensonge).

Ce travail a des implications concrètes qui peuvent être potentiellement dramatiques dans la vie des patients. En effet, avoir des difficultés à discerner à qui faire confiance peut être une source de vulnérabilité importante. Les résultats de cette étude permettront de mieux comprendre quel aspect de l’ajustement de la confiance est compromis ou préservé chez les personnes X Fragile. Cela permettra de préciser dans quelle mesure ils sont vulnérables dans les contextes sociaux, et de concevoir des interventions appropriées pour aider les patients (remédiation cognitive). Par ailleurs, ce travail permettra de préciser l’origine de l’anxiété sociale chez les personnes X Fragile.

Mise en œuvre

Dans le cadre de ce projet, nous allons comparer les mécanismes de la confiance dans trois groupes de participants : des personnes X Fragile, des enfants au développement typique, et des personnes Trisomiques 21 (dont le profil socio-cognitif est distinct de celui des personnes X Fragile en ceci qu’il est caractérisé au contraire par une hyper sociabilité) (cofinancement avec la Fondation Lejeune).

Les participants seront reçus dans le centre de recherche pendant 3 demi-journées. Ils bénéficieront d’une évaluation psychométrique adaptée à leur âge chronologique, ainsi qu’une évaluation de leurs capacités adaptatives, de leur raisonnement visuel analogique et de leur profil social.

Par la suite, ils seront invités à participer à une série d’études qui prennent la forme de courts jeux dans lesquels ils doivent évaluer des personnages (représentés par des images) sur la base de leur apparence, et de leur comportement.

Les participants devront aussi, dans certains cas, décider auxquels de ces personnages ils peuvent faire confiance.

Pour certaines de ces tâches, on étudiera également les réponses non verbales des participants en analysant la position de leur regard sur les images (stratégies visuelles) avec un eye-tracker (c’est-à-dire une caméra spécialement prévue à cet effet).

Les tâches sont adaptées aux patients présentant un trouble du développement intellectuel, avec un support visuel facilitant la compréhension et le maintien de l’attention, et des consignes verbales simples et courtes.

Exemple

Figure 1a : L’image donne un exemple de support visuel utilisé. Ce matériel a déjà été validé par l’équipe auprès de sujets neurotypiques.

Exemple comportement

Figure 1b: Exemple de stimuli montrant une série de comportements permettant de déduire un trait (gentil/méchant) ou de prédire un comportement futur.

Enfin, les participants seront invités à participer à une étude en IRM pour déterminer les fondements cérébraux de l’ajustement de la confiance

Au total, ce projet permettra de mieux comprendre l’anxiété sociale des personnes X Fragile, et de préciser quels sont les aspects de l’ajustement de la confiance qui sont compromis ou au contraire préservés chez ces personnes. Cela permettra de déterminer plus précisément l’origine de leur vulnérabilité dans certains contextes sociaux, et de concevoir des interventions appropriées pour les aider à y faire face (remédiation cognitive).